Fondée en 1877 à Parme, la marque italienne n’a pas attendu Instagram pour comprendre que la cuisine, plus qu’une affaire de goût, est un terrain d’émotion. Depuis plus d’un siècle, elle se construit une image de grande maison de la pasta, enracinée dans la tradition italienne et toujours attentive aux besoins contemporains de la clientèle. Qualité, chaleur familiale, esthétique soignée : Barilla, c’est l’Italie que l’on fantasme, au rayon pâtes de E. Leclerc.
Positionnement : l’Italie du cœur, l’Italie qui réunit
Disons le : Barilla ne vend pas des pâtes, elle vend des moments de partage. Elle incarne une Italie douce et chaleureuse. En France, elle s’adresse à essentiellement des foyers familiaux, généralement CSP moyenne à supérieure, à l’ouverture modérée : curieux sans être casse-codes. Les clients Barilla aiment découvrir mais restent attachés à des repères rassurants comme la tradition, l’authenticité ou la qualité éprouvée. En bref, la marque s’adresse à celles et ceux qui veulent mettre un peu de cinéma italien dans leur cuisine du mardi soir.
En face, le casting est varié. Panzani revendique une accessibilité populaire, terroir et française, avec sa formule “des pâtes, oui, mais des Panzani”. Lustucru joue la carte de la tradition hexagonale et du made in France. Les MDD, elles, chassent sur le terrain du prix. Et les nouvelles marques comme Banza draguent les consommateurs healthy-conscious avec des pâtes aux pois chiches.
Dans ce paysage, Barilla se distingue par un mélange plutôt singulier : la rigueur industrielle du leader mondial et la chaleur d’une marque patrimoniale. Ni folklorique, ni froide. Une marque populaire sans être discount, premium sans être prétentieuse. Et ça se retrouve dans sa stratégie de contenus.
L’innovation symbolique
Barilla excelle d’abord dans l’art de faire exister ses produits au-delà des linéaires de supermarchés. Chaque paquet de pâtes devient le prétexte à un moment de vie, une scène de cuisine, un rituel affectif. Plutôt que de marteler des arguments de vente, la marque préfère raconter des histoires où la pasta devient le fil rouge de moments partagés.
La stratégie de contenus pose les bases d’un sens du service-client devenu l’expérience-client : des recettes accessibles, des formats innovants et une esthétique toujours soignée. La page de recettes regorge de propositions simples mais efficaces, toujours présentées dans un univers visuellement rassurant et chaleureux. Barilla s’associe régulièrement à des chefs comme Marco Martini pour revisiter des classiques (cf. la campagne Open Carbonara, pour le moins inclusive et adaptable à toutes les cultures alimentaires).
Plus surprenant, encore : les playlists Spotify synchronisées sur le temps de cuisson de ses pâtes. Une idée maligne, un peu gadget avouons-le, mais parfaitement dans l’ère du temps, idéale pour séduire Gen Y et Gen Z. La marque multiplie aussi les produits éphémères, en forme de flocon pour Noël ou de cœur pour la Saint-Valentin. Plus qu’une lubie marketing, c’est surtout une façon de matérialiser l’émotion et la saisonnalité dans l’assiette. L’innovation n’est pas technique, elle est symbolique, et c’est pour ça qu’on l’aime tant.
La cuisine comme espace social
Quand Barilla quitte le digital, c’est pour mieux réaffirmer son rôle de liant social. Elle crée des expériences physiques où le produit devient secondaire, et l’émotion est centrale. Ce choix révèle une marque qui ne veut pas seulement être consommée, mais vécue (la fameuse expérience-client, la vraie).
La Limonaia Urbana, jardin éphémère implanté à Paris, est un bel exemple de cette philosophie. Entre les citronniers et les ateliers culinaires, Barilla a créé un espace sensoriel où la dolce vita italienne s’exprime.
Autre illustration : le match de tennis organisé à la sortie de la pandémie de Covid-19. Durant les confinement successifs, deux jeunes filles se sont connaître sur les réseaux en jouant au tennis sur les toits de leur immeuble. Il n’en fallait pas plus à Barilla, qui joue à domicile : ni une, ni deux, la marque réagit à cette séquence virale et organise une rencontre surprise entre les deux nénettes et leur idole, Roger Federer. Le sport devient ici métaphore du lien, de la transmission, du vivre ensemble, incarnant tout un patrimoine. Le tout résumé dans un slogan parfait : Pasta brings people together.
Des spaghettis à la F1, il n’y a qu’un pas
Barilla ne se contente pas de cultiver son potager. Elle s’aventure hors des champs balisés de la food pour imposer sa patte dans des sphères inattendues. En diversifiant ses terrains d’expression, elle affirme son ambition culturelle et sa compréhension fine des codes contemporains.L’exemple le plus inattendu mais cohérent : le partenariat avec McLaren en Formule 1. À première vue, un mariage improbable. En réalité, une belle synergie entre performance, précision, élégance. L’italianité en mouvement.
Même logique avec les Pasta World Championships, où de jeunes chefs du monde entier s’affrontent autour d’un plat populaire. Une compétition sérieuse, mais jamais guindée. Une manière de célébrer la pasta avec humour et exigence. Et c’est sans parler de la stratégie UGC déployée sur les réseaux sociaux, où le hashtag #BarillaMoments invite à partager ses rituels pasta.
L’engagement environnemental : stratégie ou storytelling ?
Barilla se présente comme une marque engagée. Agriculture durable, réduction des émissions, emballages recyclables… La liste est longue, le ton affirmé. Jusque-là, rien d’extraordinaire. Toutes les marques s’y sont pliées, plus ou moins facilement, avec plus ou moins de sincérité. Mais suffit-il d’afficher une posture verte pour être crédible ?
La récente campagne avec Marie Kondo me questionne, je l’avoue. L’association rangement zen et sauce tomate sent le coup de com’ à plein nez… et j’ai beau cherché, je ne vois toujours pas le rapport. J’irai même plus loin : cette opération, bien que soignée, donne l’impression d’une mécanique marketing bien huilée (olive, Italie oblige) plus que d’une réelle prise de position.
Ceci étant, certaines initiatives ont du fond. Le Passive Cooker, par exemple, solution low tech pour économiser l’énergie pendant la cuisson, est aussi utile que symbolique. Le soutien à des projets agricoles éducatifs via la Barilla Foundation va dans le même sens, même s’il reste discret. La suppression récente de la fenêtre plastique s’inscrit aussi dans une logique écologique, empreint d’une volonté d’alignement entre usage, culture et attente contemporaine…
D’ailleurs, une italienne (native, je précise au cas où) m’a confié que le choix du packaging chez Barilla n’était pas anodin. Il s’agirait d’une pratique ancestrale. La prochaine fois que vous irez au magasin, regardez comme Barilla est l’une des rares marques à utiliser le carton comme contenant, là où les autres marques utilisent plus couramment des emballages plastiques. De source sûre, il paraitrait que, traditionnellement, en Italie, on conservait les pâtes dans des emballages en cartons réutilisables… et je crois que l’argument de la tradition me séduit davantage que celui de la planète. Je suis une enfant du marketing, que voulez-vous.
En bref, Barilla réussit une alchimie rare : celle d’un grand nom industriel qui garde une image de marque humaine, chaleureuse et qualitative. En jonglant entre contenu produit, activations réelles et déploiement culturel, elle tisse une présence cohérente et touchante. Si son discours écologique mériterait parfois un peu plus de sincérité, Barilla n’en reste pas moins un modèle de brand content émotionnellement efficace. Une marque qui ne se contente pas de nourrir, mais qui raconte, rassemble, et s’invite dans nos foyers avec le naturel de ceux qui savent qu’ils sont déjà chez eux.